« Il faut créer une police du Phoning illégal, équipée et avec des moyens suffisants »
« La question n’est pas de réguler le démarchage téléphonique mais de faire cesser le harcèlement et l’irritation ressentie. » Lounis Goudjil, le fondateur de Manifone est l’un des observateurs les plus fins et attentifs de ce qui se pratique en matière de démarchage téléphonique en France ; il œuvre parallèlement, via les interventions qu’il a faites à l’Assemblée nationale et avec la DGCCRF, pour une régulation efficace non du télémarketing, mais de ses dérives.
Pour le lancement de son nouveau site web, Pacitel Embrouille est allé sonder Lounis Goudjil sur ce qu’il serait imaginable de mettre en place.
Pacitel Embrouille : Quand un consommateur décroche son téléphone, dit Allo et qu’il n’entend personne lui parler, de quoi s’agit-il ?
Lounis Goudjil : C’est qu’il a été appelé dans le cadre d’une campagne de téléprospection par un centre d’appels utilisant un système de numérotation prédictive et qu’il est en attente d’affectation et de réponse par un agent disponible. Le consommateur français étant de moins en moins patient, et l’attente pouvant aisément dépasser 5 secondes, il raccroche de plus en plus rapidement. Les statistiques sont éloquentes : plus d’un appel abouti sur 10 se termine par un raccrochage de combiné agacé. Il s’agit d’un des cas de harcèlement perçu qui nous est le plus souvent retourné par les consommateurs français démarchés téléphoniquement, à quasi-égalité des cas de non-respect de la liste d’opposition Bloctel. Ces délais sont dûs en grande partie au temps mis par le système à définir si l’appel a été décroché par un être humain ou s’il a abouti sur un répondeur. La bonne nouvelle c’est qu’une technologie disruptive de détection de répondeur permet désormais de réduire ces cas de 75%.
La liste Bloctel et la réglementation sur le démarchage téléphonique encadrent normalement les sollicitations par téléphone mais les plaintes sont nombreuses. La ” police du phoning ” est-elle désemparée, sans moyens ou les peines sont-elles trop légères pour inciter les contrevenants à respecter la loi ?
La règlementation en place n’est pas accompagnée d’une « police du phoning » aux moyens suffisants. De plus, pour pouvoir déposer une plainte sur Bloctel, il faut au préalable savoir par qui on a été appelé. Une conséquence malheureuse de cette situation est que, une ou plusieurs fois par an, de nouveaux députés, plus intelligents que leurs camarades avant eux, proposent de durcir l’arsenal anti-harcèlement, en feignant de croire que leur loi règlera le problème une fois pour toutes. J’aimerais leur poser la question suivante : pourquoi pensez-vous que votre loi sera plus respectée que Bloctel ou la loi Hamon par exemple ? Le problème n’est pas Bloctel en soi, mais le manque de réflexion autour d’une procédure rapide d’identification des fraudeurs ainsi que de l’application massive des peines prévues pour les contrevenants. Il ne se passe ainsi pas une semaine sans que des dirigeants de centres d’appels ne nous reprochent notre procédure d’authentification obligatoire des numéros d’appelants affichés et aillent ensuite se fournir auprès de camarades moins regardants pour contourner la réglementation existante.
Il existe pourtant une solution très simple : obligeons immédiatement TOUS les opérateurs français d’entreprises et de clients finaux à filtrer 100% des appels émanant de leurs réseaux afin d’assurer que les appelants sont bien identifiés. Le traçage d’un appel frauduleux étant très simple et pouvant être effectué en quelques jours, les opérateurs contrevenants rentreraient vite dans le rang si quelques grosses amendes étaient infligées ! Pour le moment, ce filtrage n’est qu’une recommandation de l’ARCEP aux opérateurs français.
Aux USA, la guerre est menée également contre les Robocalls, de quoi parle-t-on ?
Les Robocalls sont un phénomène très majoritairement nord-américain où des millions de consommateurs sont appelés quotidiennement et entendent un message préenregistré les incitant à taper 1 ou 2 pour être mis en relation avec un vendeur de tel ou tel produit ou service. Il y a peu de chances que ce phénomène prenne la même ampleur en France car le tarif des appels vers les mobiles français est quasi dix fois plus élevé que celui des appels vers les mobiles américains. Le modèle économique des adeptes des Robocalls s’effondre alors.Un amalgame est malheureusement souvent fait entre Robocalls US et appels de téléprospection émis via une numérotation prédictive en France.
Des solutions techniques existent vraiment pour réduire les cas de harcèlement, bien involontaires, de la part des grands donneurs d’ordres français vers la population française. On peut réduire de 75% les cas de raccrochés agacés et quasi-éliminer le phénomène de messages vides sur les répondeurs, autre grande source d’insatisfaction de nos concitoyens. Faisons de l’expérience prospect en téléprospection une obsession comme nous le faisons déjà depuis des années pour l’Expérience Client et nous aurons alors une chance d’infléchir l’opinion des Français à notre encontre.
Ce qu’il faut savoir ou se rappeler
• La réglementation proposée par l’Arcep qui imposait aux opérateurs téléphoniques de savoir qui était le commanditaire officiel de toute campagne de marketing téléphonique a été retoquée par le Conseil d’État, en février 2021, non pas pour son caractère illégal ou inefficace mais parce que ce sont les ministères qui devraient, selon le Conseil d’État, initier un projet de loi de ce type.
• Bloctel n’a pas du tout éradiqué les pratiques illégales en démarchage téléphonique. Les plaintes sont en constante augmentation depuis l’année de la mise en place de cette liste d’opposition.
• Aux USA, la lutte contre le phone-spoofing et le harcèlement téléphonique est déclarée priorité nationale et les moyens mis en place par l’équivalent de notre DGCCRF ont été augmentés récemment. Deux États, celui de Floride et de New-York assimilent désormais le messaging à de la prospection commerciale illégale (messaging : envoi de messages sms ou via d’autres réseaux sociaux, tel WhatsApp)
• De nombreuses grandes entreprises continuent de pratiquer le démarchage téléphonique et indiquent que ceci demeure efficace et rentable, tout en respectant la législation en cours. C’est ce dont témoigne par exemple Virgine Fromaget, de TotalEnergies.