Le démarchage téléphonique pour tuer son ennemi : Husini, le CPF à la chinoise
Vous vous plaignez des appels de démarchage téléphonique pour le CPF ou les pompes à chaleur ? Lisez plutôt ce que shi a inventé, pour récupérer les sommes qui lui sont dues.
Un logiciel qui procède à du démarchage téléphonique, des appels intempestifs à partir de numéros différents empoisonne la vie des utilisateurs de portables en Chine.
2013, Nord-Est de la Chine. Voici plusieurs mois que les employés d’une petite société de logiciels dans la ville de Shenyang (au Nord-est de la Chine) sont harcelés jour et nuit par des appels téléphoniques et des textos contenant des menaces. Entre leurs coups de fil professionnels, ils sont littéralement bombardés par des appels provenant de diverses régions de Chine, avec soit des menaces, soit de la publicité intempestive.
Du patron à la secrétaire, les téléphones portables des membres de cette entreprise présentent tous les mêmes symptômes : chaque jour à partir de 12h00, ils sonnent toutes les 3 ou 4 minutes, et si ce ne sont pas des coups de fil qui dérangent les employés, ce sont des SMS avec des menaces qui commencent à arriver, un par un.
« Ces appels continuent jusqu’à très tard dans la nuit. Impossible de se concentrer dans de telles conditions », explique le DRH de la société au quotidien local Shenyang Wanbao. « Et nous ne pouvons pas ne pas décrocher, ni éteindre nos portables, car nos clients, qui sont établis un peu partout en Chine, peuvent nous appeler à n’importe quelle heure de la journée et tard dans la nuit, si jamais il y a quelque chose d’urgent ».
Pour faire face à l’avalanche des spams téléphoniques, ils ont tout essayé. Mais il est impossible de bloquer les numéros dans le portable, car c’est à chaque fois un nouveau numéro qui s’affiche. Changer de numéro de portable serait apparemment la seule solution, mais la direction de la société, craignant de passer à côté de nouveaux contrats, a interdit à ses employés de le faire, tout comme d’éteindre les portables jusqu’à très tard dans la soirée.
Un ancien employé de la compagnie, un stagiaire
Il n’a pas été très difficile d’établir le coupable. Il s’agit d’un ancien employé de la compagnie, un dénommé Shi, engagé comme stagiaire en mai dernier et par la suite licencié pour un faux diplôme. Après son licenciement, Shi n’arrêtait pas d’appeler ses anciens employeurs, exigeant que lui soit versée une compensation pour licenciement abusif. Mais face au refus ferme qui lui a été opposé il a décidé de se venger et a téléchargé sur Internet ce logiciel à spams téléphoniques, y a introduit dans le répertoire les numéros de tous les employés de la société.
Des logiciels vendus 4 euros sur Internet. Pas de Bloctel en Chine.
Ce logiciel s’appelle husini. Si l’on traduit littéralement son nom du chinois, cela voudrait dire « je te harcèlerai de coups de téléphone jusqu’à ta mort ». Apparu en 2003, ce logiciel fonctionnait au départ avec le système de téléphonie IP, permettant aux escrocs de diffuser de la publicité interdite ou bloquée par les autorités. Par exemple, la vente de faux documents. En outre, des escrocs divers s’en servaient pour soutirer de l’argent sous des prétextes divers à l’utilisateur du téléphone portable. Suite à plusieurs cas d’escroquerie de vieux retraités, les policiers ont démantelé un véritable réseau d’écoulement des logiciels husini. Mais avec le développement d’Internet, une deuxième génération de ces logiciels est apparue sur le marché. Le nouveau logiciel fonctionne grâce à des fausses adresses IP et permet aux malfaiteurs de ne pas être retrouvés. Il suffit d’enregistrer sur ce logiciel une série de numéros de portables, d’établir des paramètres d’appel, ainsi que le contenu des SMS et il fonctionnera en mode automatique pendant une période voulue, en appelant les personnes placées dans la liste.
En saisissant le terme husini sur Baidu, le moteur de recherche chinois, on trouve facilement une dizaine de sites de vente de logiciels de ce type avec des prix qui varient entre 30 et 500 yuans (3,75 et 62,5 euros).
Les experts de China Mobile, l’un des principaux opérateurs mobiles chinois, dont plusieurs millions d’abonnés se plaignent d’appels et de messages intempestifs ces derniers temps (de démarchage téléphonique comme ce que pratiquent certaines officines liées au CPF) mettent en garde les utilisateurs contre la saisie de leurs numéros de portables sur des sites Internet et autres interfaces pour accéder à des services divers. En effet, en Chine, le numéro de portable est souvent demandé, soit pour accéder à Internet, payer ses achats sur le web ou reconstituer tout simplement un mot de passe d’un réseau social perdu… Une fois le numéro saisi, les utilisateurs reçoivent sur leur portable un code qu’ils doivent saisir pour confirmer telle ou telle transaction. Et si leur smartphone ou ordinateur n’est pas protégé par un antivirus, ce numéro peut être récupéré par des hackers et introduit dans la liste des futures victimes du husini.
Des utilisateurs impuissants face à une avalanche de spams téléphoniques.
Les compagnies de téléphonie mobile ont tendance à baisser les bras face aux victimes du logiciel harceleur et proposent de changer de numéro ou de bloquer les numéros autres que les contacts sauvegardés dans le téléphone. Le PDG de la société de logiciels de Shenyang a préféré déposer une plainte commune à la police, et l’enquête a déjà donné ses premiers résultats. Grâce aux opérateurs mobiles, les policiers ont pu établir que tous les appels étaient émis de Changchun, une ville au Nord de Shenyang. Mais le travail d’identification de l’utilisateur qui émet des appels intempestifs risque de durer longtemps. Car il peut se déplacer, ou installer le logiciel discrètement sur un ordinateur qui ne lui appartient pas.
Face l’impuissance des opérateurs, chacun adopte sa méthode. Les psychologues conseillent aux utilisateurs des smartphones de ne pas répondre à des appels téléphoniques qui sont émis d’une région qu’ils ne connaissent pas. Les bloggeurs suggèrent aux utilisateurs de téléphonie mobile qui ont des tarifs préférentiels de décrocher le téléphone lorsqu’il s’agit d’un appel husini et le laisser systématiquement décroché tant que le système ne raccroche pas lui-même. Cela peut provoquer un bug du logiciel et effacer le numéro de la base des données. Si ce n’est pas le cas, le hacker aura payé pour la communication, ce qui peut le décourager de continuer à appeler. Après tout, le harcèlement ne l’est plus si la victime arrête d’y réagir.
Nouveau plan de numérotation, Bloctel, Manifone : pourquoi un Husini n’est plus possible en France.
Bien que le harcèlement téléphonique perdure en France et que nombre de particuliers s’en plaignent et souffrent, quelques dispositions existent, anciennes ou récentes qui permettent normalement de limiter les sollicitations téléphoniques : Bloctel est le nom de la liste d’opposition qui existe, sous réserve qu’on s’y inscrive. Elle a son équivalent dans de nombreux pays, telle la Do Not Call List aux USA. Les moyens de la DGCCRF pour débusquer les fraudeurs étant limités, elle apparait parfois comme une ligne Maginot : facile à contourner.
Chez Orange, pilotée Frank Derville, une application permet de limiter les démarcheurs en bloquant leurs numéros. Orange Téléphone, c’est son nom, remporte un vif succès.
Dans le monde professionnel, pour les entreprises qui continuent de prospecter par téléphone, mais désirent le faire dans le respect de la législation et en sollicitant les prospects au bon moment, Manifone s’est installée comme l’opérateur télécom spécialisé en relation client.
Le numéro un mondial des call-centers, Teleperformance a détaillé récemment les bénéfices retirés de l’usage de Manifone. C’est à lire ici.