Si je vous dis que je suis le pape, est-ce que vous allez me croire ? (Georges Briand)
Dans un petit village breton, un gaulois résiste encore et toujours, à sa manière particulière, à l’envahisseur : les démarcheurs téléphoniques. Georges Briand, propriétaire d’une Fiat 850 speeder, tient le catalogue de toutes les tentatives de démarchage dont il fait l’objet à travers sa ligne fixe. Il a répertorié et inscrit sur des feuilles volantes les 1700 numéros d’appels de sociétés qui l’ont démarché, ce chiffre augmentant chaque jour. Le combat d’un syndicaliste chevronné à qui on ne la fait pas, écrivain à la façon de Georges Perec.
Qu’est-ce qui vous décide, en 2019 à vous lancer dans ce travail d’entomologiste ?
(rires) C’était tout à fait par hasard. J’ai une formation, enfin une formation c’est un bien grand mot hein, mais je suis un ancien responsable syndicaliste de longue date, j’ai fait aussi de la politique, j’ai été conseiller municipal, donc je ne suis pas le perdreau de l’année. A force d’avoir des coups de téléphone sans arrêt, sans préméditation, je me suis mis à noter les numéros, et ça continuait, ça continuait, j’en ai rempli des feuilles et des feuilles. Je en suis rendu à plus 1700 coups de téléphone. Et comme j’ai appris qu’il y avait une discussion à l’Assemblée Nationale sur ce sujet, j’ai interpellé le député de ma circonscription et je lui ai apporté une photocopie de la liste de tous ces numéros. J’ai contacté le journal local, Le Pays Malouin, qui a fait un premier article. Après ce premier article, la chaine parlementaire m’a contactée (LCP) puis Canal+, dans l’émission Clic, et ensuite une radio de Loire-Atlantique, It ouest océane, un journaliste audio est carrément venue à la maison. Tous ces numéros de téléphone sont à la disposition de celui qui veut bien les consulter. Ça s’est un peu calmé mais ça continue.
Vous êtes-vous inscrit à l’époque sur Bloctel, qui est la liste qui permet normalement de n’être plus importuné ?
Des voisins se sont inscrits et ça ne les empêche pas de recevoir des coups de téléphone sans arrêt. On est harcelé par tous et pour n’importe quoi. Entre les formulations sur mesure imaginées pour essayer de vous escroquer des informations (« Ah, vous n’avez pas reçu notre courrier ? Eh bien je vais vous expliquer », il y a les mutuelles, les voyants, les médiums, ceux qui veulent vous racheter, pour rendre service évidemment, vos emprunts, ceux qui veulent savoir où vous habitez, comment vous vous chauffez, vos habitudes alimentaires, ceux qui vous vendent du vin, du miel, du surgelé. On est envahi. Et je ne parle pas de l’isolation, c’est pire que ce qu’on peut imaginer. L’isolation à un euro, vous imaginez… Les pompes à chaleur, et ci, et ça. Oui, c’est ça, cause toujours tu m’intéresses. J’ai été pris dans l’engrenage et j’ai pris cette habitude.
Ces démarcheurs vous appellent-ils avec un numéro masqué ou bien est-ce avec des numéros que vous parvenez à identifier?
Je les identifie parce que sur ma base téléphonique le numéro s’affiche. Il y a peu de numéros qui appellent en masqué. Mais on m’appelle de l’étranger. Je reconnais les accents : celui du midi de la France, ceux du Nord qui sont bien distinctifs, celui de l’Alsace, mais c’est une certitude, on appelle également d’Afrique, de Madagascar, de l’Île Maurice. A un moment donné, je retourne la discussion. Au début, ILS m’interrogent et puis, par un tour de passe-passe, Je me mets à poser les questions.
C’est bien, s’ouvre à vous une carrière toute tracée dans les centres d’appels. Constatez-vous différence dans la qualité du discours et la capacité d’écoute entre les appels émis depuis et France et ceux provenant de ces call-centers à l’étranger ?
Là-dessus, je ne pourrais pas vraiment juger. Les discours sont préparés à l’avance. Ils me donnent leur nom et leur prénom mais moi, vous savez, si je vous dis que je suis le pape, est-ce que vous allez me croire ? Pour ma part, je préfère avoir un contact humain avec quelqu’un quand je veux faire une affaire. Je n’ai pas besoin qu’on me téléphone pour me brader quelque chose. Si j’ai besoin de quelque chose, je me déplace.
Entretien mené par la rédaction du magazine En-Contact
Retrouvez la suite de cet article dans les pages des Cahiers de l’Expérience Client n°6, en décembre