Démarchage téléphonique abusif : Bloctel bientôt sans pilote ?
Virginie Beaumeunier vs Jessica Rosenworcel, ces deux femmes qui combattent les appels indésirables, avec des moyens et visions différents.
Fin septembre 2021, c’est-à-dire demain, nul ne sait qui va tenir à jour la liste Bloctel, qui recense, actualise les 10 millions de numéros de téléphone dont les titulaires ne désirent pas être sollicités à tout va par téléphone. Bercy et son bras armé sur ce sujet, la DGCCRF, n’ont pas encore statué sur le gestionnaire du fichier des consommateurs ne désirant plus être importunés sans raison.
Qui va gérer Bloctel ?
Cinq ans après sa création, et alors que l’échec de Bloctel est patent dans la lutte contre les appels abusifs de démarchage téléphonique, les services de l’Etat (la DGCCRF) n’ont toujours pas désigné le concessionnaire en charge de la liste d’opposition, plus connue sous le nom de Bloctel. L’actuel concessionnaire, la société Opposetel, dont les services devaient légalement cesser fin juin, ne sait toujours pas s’il devra continuer à gérer Bloctel après la fin septembre 2021.Un appel d’offres a pourtant bien été émis, fin 2020 qui devait permettre de désigner l’éventuel nouvel attributaire du marché dont la notification du marché n’est pas encore intervenue. Joint par nos soins, Eric Huignard, le dirigeant d’Opposetel, nous a confirmé qu’il attendait une réponse officielle de la DGCCRF, non reçue à ce jour.
En France, plus de 4 millions de consommateurs se sont inscrits sur cette liste depuis sa création, en 2016. Presque dix millions de numéros de téléphone y sont déclarés par des personnes qui ne désirent pas être contactées par des sociétés avec lesquelles elles n’entretiennent pas déjà des relations commerciales. Le nombre de plaintes et de signalement a considérablement augmenté, signe que le dispositif ne semble pas seul de nature à juguler les appels non désirés.
Ce n’est pas à l’Arcep de s’en mêler (dixit le Conseil d’État)
Un couac de plus dans la gestion d’un dossier politique, économique, social sur lequel l’Etat français ne semble pas avoir de cap précis depuis plusieurs quinquennats. Alors que l’Arcep avait tenté, en Juillet 2018, de créer un dispositif qui aurait permis d’identifier les sociétés qui commanditent les campagnes de télémarketing (ce qui aurait permis de réguler les pratiques grâce aux opérateurs télécom), le Conseil d’Etat a retoqué l’Autorité en février de cette année, en indiquant dans sa décision que c’était aux Ministères de statuer sur ces règlementations. Aux Etats-Unis, pays en avance sur la question, c’est pourtant bien ce type de dispositifs qui est en partie utilisé pour débusquer les émetteurs d’appels : contraindre les opérateurs qui routent les appels illégaux à ne plus les transporter.
Les appels et sollicitations commerciales indésirables, un fléau mondial
Ces unsollicited calls constituent en effet un fléau mondial, contre lequel, aux Etats-Unis par exemple, la FCC et les législations de différents Etats mobilisent des moyens de plus en plus intensifs. « Mais la sollicitation commerciale par téléphone, ou via messaging, non désirée ou illégale, ne risque pas d’être combattue avec efficacité en France, indique Manuel Jacquinet, spécialiste du sujet : les amendes, lorsqu’on parvient à identifier les contrevenants sont au maximum de 375 000 euros en France, quand on peut identifier les commanditaires. Aux Etats-Unis, un record a été battu cette année puisque la FCC a condamné en Mars deux entreprises texanes à une amende de 225 millions de dollars pour utilisation de Robocalls. Et qu’elle a décidé de mettre les moyens nécessaires pour recouvrer le montant des amendes: plus de 51 personnes sont affectées à la seule lutte contre le démarchage téléphonique aux US. Bloctel, dès sa conception, était une quasi ligne Maginot contre le démarchage téléphonique, mais il faut dans le même temps savoir -et dire aux consommateurs- que la lutte contre les Robocalls et le démarchage téléphonique abusif sera longue et s’apparente aux travaux de Sisyphe. Jessica Rosenworcel, directrice de la FCC maintenue à ce poste par intérim depuis Janvier, a pris de bonnes mesures comme celles qui consiste à identifier les providers télécom qui routent ces appels illégaux. Et elle les débusque au Canada, en Angleterre ou dans son pays »
Au Royaume Uni, toutes les enquêtes et sondages indiquent que le harcèlement téléphonique est l’un des tracas de la vie quotidienne les plus cités par les citoyens britanniques. Aux USA, Démocrates et Républicains sont d’accord sur une seule chose, dans un pays que tous reconnaissent comme très fracturé : la volonté de lutter contre les Robocalls. “There’s one thing in our country that unites Republicans and Democrats : they are sick and tired of being bothered by unwanted robocalls”, avait déclaré Ajit Pai en 2019 au Washington Post (Ajit Pai, l’ex-directeur de la FCC, l’équivalent de notre DGCCRF).
La gestion des appels d’offres publics, et comment les Ministres se dédouanent avec légèreté
« Après le couac récent, sur un autre appel d’offres (celui qui avait désigné Adrexo comme société en charge, avec la Poste, de la distribution de la propagande électorale et dont on a constaté le caractère étonnant ), la procrastination sur le nouveau concessionnaire de Bloctel n’est pas une bonne nouvelle », indique un bon spécialiste des marchés publics. « Le marché confié à Opposetel représentait, sur la période de cinq ans, une somme garantie de 20 millions d’euros. Une somme qui pourrait judicieusement être allouée à des combats et des dispositifs plus en phase avec la nature du problème. Ne pas avoir identifié ou placé dans des conditions de fonctionnement efficaces l’attributaire d’un tel marché est étonnant.
C’est à savoir
Manifone, l’un des opérateurs télécom les plus en pointe sur le respect des dispositifs légaux contre le démarchage téléphonique, a conçu, depuis plus de deux ans, des services autorisant une performance accrue des campagnes de télémarketing en veillant à limiter la sur-sollicitation des prospects, notamment.
L’association Pacitel Embrouille présentera à La Baule, fin septembre, les résultats de l’enquête exclusive qu’elle a menée, sur la période 2020-2021, sur le démarchage téléphonique en période de confinement.
La mésaventure qui est arrivée à une habitante de Villegongis, en 2013, illustre le fait que ces pratiques de phone spoofing peuvent avoir parfois de graves conséquences : une retraitée avait été menacée de mort parce qu’on la croyait responsable d’appels indélicats. Aujourd’hui, 12 juillet, c’est l’anniversaire de Jessica Rosenworcel, la directrice de la FCC, qui fête ses cinquante ans. Cette avocate de formation a été maintenue dans ses fonctions par intérim, sur décision du Président Joe Biden.
Virginie Beaumeunier est la directrice générale de la DGCCRF. Elle est diplômée de l’ENA.
Par la rédaction d’En-Contact